LA VOISINE EST FIANCÉE


Dans le balcon de mon appartement, voilé de noir, je vois au-dessus de moi,
Comme dans un observatoire astronomique, le ciel assombri par le dernier quartier de la lune,
Exposer ses jades ses ors ses diamants, qu’aucun Archange autour du Trône céleste ne brade ;
Et je vois sans que l’on ne me voie au-dessous de moi les convives sur leur terrasse tout heureux endimanchés de leurs plus beaux atours
Autour de son trône tapissés de dais, paré de baldaquin.
Voici les proches des fiancés, leurs parents lointains, leurs amis d’enfance. Voici susurrant, leurs collègues de travail
Et ces hommes qui ont renfloué la brousse des coiffeurs, les caisses des hammams, des tailleurs des prêteurs d’habit de nonce clinquant,
Et ces femmes qui après les bains maures, ont passé un siècle dans les salons esthétiques
Pour en ressortir ensuite duchesses, comtesses, princesses, fardées de mascara
Comme ces matrones dans les djellabas alourdies parées de falbala,

Bientôt cet orchestre de mezwed, garde-fou du folklore de cette terre d’asile, muet pour le moment mais par moments se fait entendre en petites notes d’essai,
Remplira l’atmosphère de la cité somnolente jusqu’aux cités environnantes des flonflons de zourna et de tamtam de derbouka.

S’impatientent de voir plutôt la fiancée que le fiancé les invités d’honneur, assis confortablement sur des chaises louées en face et à droite du trône vide ;
Chacun d’eux qui étale son quotidien, et ceux-là, voisins de deux pas et ceux-là, concitoyens qui ne se voyaient pas,
Qui viennent de se voir, de se rencontrer après des lustres sous des lustres.

Il ne manque rien pour distribuer les youyous, les makrouts aux dattes frits, les baklavas amende, les samsas, les kak warkas, les gazouzas
Pour que la dot soit purifiée, les fiancés liés à jamais.

C’est depuis que l’aurore annonça la cavalcade du père de Phaéton, que notre future fiancée se fut conduite royalement
Dans un salon de coiffure manucure pédicure, pour se muer en une fée.

Dansons ! Dansons ! sur les sons perçants de l’orchestre qui joue d’un agrément sur des youyous et la voix tremblante d’un troubadour ;
Dansons ! Dansons ! c’est la reine qui apparaît accompagnée des matrones et des caméristes
Les premières qui l’entourent et les deuxièmes qui soulèvent la traîne de sa féerique robe de soie nictitante.

Voici qu’elle monte mollement sur son trône, ses cheveux longs lachés, ses manières celles d’une madone marchant prudemment dans une sylve où règne Pan.
Voici que dans l’hystérie, dans la liesse, dans les youyous, le prince charmant et son arroi se frayent le chemin dans la foule qui s’adonne à toute sorte de danse :
Les fatmas qui se trémoussent avec salacité de leurs reins bien rodés qui houlent comme des ondes compressées
Et leurs adonis qui les convoitent, devant elles qui dansent moins qu’ils ne friment
En se ballottant de leurs membres supérieurs comme des arbres par le vent, dans leurs épanchements violents.

Dansons ! Dansons, car bientôt on les liera après toutes ces émotions par des anneaux d’or
Qui veilleront sur eux jusqu’au sacre estival des torches nuptiales.

© Charles Coulibaly Nountché
© La Kora de sora

Peinture: Boussoussa, l'artiste peintre




Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

CHANT D’HONNEUR AU CHAMP D’HORREUR

Poésie en Côte d’Ivoire: Clôture du Festival international de la poésie d’Abidjan (Fipa) avec plusieurs récompenses

Belgique/ Marché de la Poésie : la poésie jeunesse à l'honneur